Procès Air’Technologies : qu’est-ce que le dénigrement au sens juridique du terme ?
Le dénigrement est un terme qui a la même définition dans le domaine juridique que non juridique : il s’agit de communiquer de manière à discréditer une autre personne ou une autre entité.
Il est sanctionné par le code civil en son article 1382 : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Il est donc différent de la diffamation, qui est une sanctionnée pénalement, et qui porte à l’honneur de sa victime auprès d’un public extérieur.
L’exemple du procès Air’technologies. Quels sont les actes constitutifs du dénigrement ?
Afin de comprendre ce qu’est le dénigrement, nous allons étudier l’arrêt n°19/08708, rendu par la cour d’appel de Paris le 14 novembre 2019.
Air’Technologies saisit en 2019 le juge des référés pour faire cesser les dénigrements dont elle accuse Sintra. Cette dernière effectue une action reconventionnelle, et accuse à son tour Air’Technologies de dénigrement. Les deux entreprises présentent chacune plusieurs mails. Si, finalement, seul un des mails émanant d’Air’technologies est constitutif d’un dénigrement, tous les mails sont examinés par les juges. Ces examens permettent de comprendre quels sont les critères nécessaires à constituer le dénigrement.
L’acte dénigrant doit émaner directement de l’organe accusé ou d’un de ses représentants
Pour écarter plusieurs des mails examinés, les juges ont mentionné que ces mails n’émanent pas de l’organe accusé. Cela peut sembler évident, ces mails étant finalement des ouï-dire, mais ils auraient pu constituer un début de preuve.
En l’occurrence, des clients d’Air’Technologies rapportaient à ces derniers que leur concurrent aurait « craché sur le dos » d’Air’Technologies. Le tribunal indique que l’auteur du mail n’indique pas qui est l’auteur de ces propos chez Sintra. Cela signifie donc que même si ce mail n’émane pas directement de Sintra, si ce « ouï-dire » avait été plus précis, il aurait pu être pris en considération par les juges. Il n’aurait pas, seul, constitué une preuve suffisante, mais de multiples éléments de ce type peuvent suffire aux yeux des juges, qui vont apprécier souverainement l’existence du dénigrement.
Les propos doivent être malveillants pour constituer un dénigrement
Air’Technologies rapporte également un mail envoyé par un client de Sintra. Dans ce mail, en plus du fait que les propos n’émanent pas directement de Sintra, les juges estiment que les propos ne sont pas « des propos malveillants ». En effet, le propos contenu dans le mail est un simple avis sur des produits et sur une proposition commerciale. Cette communication indique en l’occurrence la fiabilité des produits Sintra selon l’expérience de l’auteur, et ses doutes quant à la possibilité d’atteindre la même performance avec un produit deux fois moins cher.
Les propos dénigrants doivent causer un préjudice
Un des mails envoyés par Air’Technologies est constitutif de dénigrement envers Sintra. Celui-ci émane du gérant d’Air’Technologies qui indique que sa séparation d’avec Sintra s’est faite dans la douleur et dénigre l’attitude de Sintra lors de la rupture.
Les juges notent que ce qui est dénigré, c’est l’attitude de la société, et non pas ses produits. Cependant, ils reconnaissent que ces propos pourraient être constitutifs de propos dénigrant émanant d’Air’Technologies. Cependant, ce mail datant de 4 ans avant la saisine du premier juge, le juge va estimer que le trouble manifestement illégitime (qui nécessiterait une intervention immédiate, en urgence, pour faire cesser le trouble) n’est pas caractérisé.
Afin que le dénigrement soit caractérisé, il faut donc des propos malveillants, qui causent un préjudice, et qui soient attribuables à l’organe accusé. Ces différents éléments seront appréciés souverainement par les juges du fond pour qualifier ou non le dénigrement.
Merci pour cet article. Si le dénigrement a besoin d’être autant démontré c’est surtout pour éviter qu’on nous prive de la liberté de dire ce qu’on pense sur les choses… Après tout, est-ce que faire un choix entre un prestataire ou un autre ce n’est pas déjà de faire un classement entre eux et donc de dévaluer factuellement une offre par rapport à un autre ? Si on m’accuse de dénigrement à chaque fois que je dis qu’il vaut mieux aller chez But plutôt que Ikéa parce qu’on est mieux servi et qu’on trouve que les gens qui y travaillent s’y sentent mieux, on n’est pas sorti…
Super qualité d’article, tout est très claire.
Je suis d’accord sur le fait que ça pose question sur la liberté d’expression dans tout ça.
On va finir par être libre de tout sauf de dire ce qu’on pense….